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30e dimanche du Temps Ordinaire

La première lecture et le psaume sont des cris de joie. Ce n’est pas si souvent, profitons-en. L’évangile rapporte l’histoire de Bartimée, un aveugle que Jésus a guérit et qui est devenu une figure exemplaire pour les croyants. Nous entrons sans résistance dans sa joie, qui est aussi celle du Seigneur et de l’Église.

Mais pour entrer pleinement dans cette joie à notre tour, et surtout pour qu’elle s’empare durablement de notre vie, il nous faut sans doute prendre conscience des ténèbres qu’elle vient déchirer… La joie que le prophète Jérémie rapporte concerne en effet le retour de l’exil à Babylone, qui fut incontestablement la plus grande catastrophe de l’histoire sainte. Il faut réaliser que le peuple élu a alors perdu tous ses repères essentiels : la terre, le roi et le temple. En effet, ils n’habitaient pas leur pays « depuis toujours », ce n’était pas la terre de leurs ancêtres, mais la terre qui leur avait été promise et donnée par le Seigneur, en signe d’alliance. La perdre est perdre le don de Dieu, rien de moins. Comment croire à l’accomplissement de la promesse, si les éléments qui marquaient concrètement sa réalisation disparaissent ? De même, comment accomplir les sacrifices rituels prescrits par la Parole de Dieu s’il n’y a plus de Temple ? Ce qui faisait leurs certitudes, ce qui occupait le centre de leur vie, leur est soudain arraché. Le traumatisme est vraiment profond.

Israël a alors fait l’expérience de dépendre entièrement de Dieu, de ne pouvoir compter que sur lui. Plus rien au monde ne lui donnait de motif d’espérance, il semblait pris dans une nuit sans fin. Il ne lui restait rien d’autre que la Parole à méditer et sa foi dans la fidélité du Seigneur.

Pourtant, un jour, tout bascule. « Nous étions comme en rêve », se rappelle le psalmiste. L’explosion de joie dont les lectures de ce jour nous rendent témoins est proportionnelle à l’intensité du drame vécu. « Ils étaient partis dans les larmes, dans la consolation je les ramène », dit le Seigneur.

Il est intéressant de noter les mots employés pour crier la joie de la délivrance, ils disent ce que cette expérience a apporté. D’abord, le visage de Dieu est clairement celui d’un père, bien aimant et présent aux côtés de ses enfants. La première lecture est encadrée par ces mots : « poussez des cris de joie (…) car je suis un père pour Israël ». Ensuite, l’expérience, aussi douloureuse soit-elle, a été perçue comme la préparation d’une moisson abondante : « qui sème dans les larmes, moissonne dans la joie ». Ainsi la joie manifestée n’est pas seulement la joie du retour, mais la joie de voir ce que Dieu construisait dans le silence de la nuit. Alors que tout semblait perdu, le Seigneur creusait un sillon et enfouissait une graine qui ne tarderait pas à donner son fruit. De la mort, la vie peut jaillir !

La souffrance est quelques fois une éducatrice précieuse…

Cet itinéraire est aussi celui de Bartimée. Il n’a d’autre compagnie que la nuit qui ne finit jamais. Son exil est son exclusion. Il vit en effet chez les siens, mais en marge de tout, au bord d’un chemin. Il est dépendant des siens qui le rejettent. Il ne peut rien par lui-même, il doit compter sur eux pour tout. Voilà une position pour le moins inconfortable.

Mais dans la souffrance de sa solitude, Bartimée a découvert la présence bienveillante du Seigneur à ses côtés. La preuve, il le reconnaît tout de suite quand il passe sur le chemin.

On découvre alors que Bartimée n’est pas sans ressources. S’il est aveugle, il n’est pas muet. Il a de la voix. Il crie vers Jésus avec tant de conviction qu’on cherche à le faire taire. Mais lui qui doit compter en tout sur les autres, comprend qu’il n’est plus l’heure de s’en remettre aux autres, il n’est plus l’heure de se laisser faire. Il appelle de plus belle.

Jésus entend son cri. Évidemment. Qui ne l’entend pas ? Cependant l’attitude de Jésus n’est pas habituelle. Il pourrait par exemple aller vers lui, il pourrait aussi demander qu’on lui amène Bartimée, il pourrait encore appeler à lui l’infirme. Mais Jésus ne fait pas que guérir, il enseigne. La foule qui faisait rempart doit à présent faire corps. Le Seigneur choisit donc ceux dont dépendait cet homme jusqu’à aujourd’hui, ceux qui voulaient l’éloigner. Il les envoie vers Bartimée pour les associer à sa guérison en leur permettant de prendre la parole, en leur donnant de dire son propre désir de la guérison de Bartimée. « Confiance, lève toi, il t’appelle ».

Alors Bartimée s’élance. Cette invitation lui suffit, elle est le signal que reconnaît son cœur. Sa souffrance et sa solitude ont été ses éducatrices, nul besoin d’un « va, vends tout ce que tu as » : il jette son manteau, de lui-même. Il renonce à ce qui faisait son identité. Il abandonne sa carapace, ses protections, ce qui l’abritait du froid de la nuit et du regard des hommes. Il se montre vulnérable et, lui l’aveugle, il marche vers Jésus.

Cet élan ne peut que toucher le Seigneur. Mais Jésus veut qu’il recouvre pleinement sa dignité. Il lui demande donc d’exprimer ce qu’il souhaite, il se fait serviteur de cet homme meurtri. « Seigneur, que je voie ! ». D’une voix assurée, on l’a vu, debout, sans assistant, sans protection, il ne s’appuie que sur la parole de Jésus. Elle a dirigé sa marche, elle contient son espérance, elle opère sa guérison.

L’homme, debout et parlant, est donc sauvé par la foi qu’il a mise en Jésus. « Va », sa dignité et sa liberté lui sont rendues. Mais Bartimée est tout à son action de grâce.

Que ces textes nous donnent de toujours garder fermement notre espérance en Dieu notre sauveur. Il est de tous nos exils. Il n’est aucune nuit trop sombre pour qu’il nous y suive. Il n’est aucune solitude qu’il ne puisse consoler de la douceur de sa présence. Les chants de joie du peuple revenant à Jérusalem sont les nôtres, l’exultation de Bartimée est la nôtre. Bartimée se met à suivre Jésus. Choisissons donc comme lui d’employer notre liberté en fonction du Seigneur. Suivons-le, nous aussi, chaque jour de notre vie : nous retrouverons ainsi la maison de notre Père du Ciel, celle où règne le bonheur qui ne finit pas, celle où nous voulons nous établir pour toujours.