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1e dimanche de Carême

"Après son baptême, Jésus, rempli de l’Esprit Saint, quitta les bords du Jourdain ; il fut conduit par l’Esprit à travers le désert où, pendant quarante jours, il fut mis à l’épreuve par le démon. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et, quand ce temps fut écoulé, il eut faim. Le démon lui dit alors : « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain. » Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre. » Le démon l’emmena alors plus haut, et lui fit voir d’un seul regard tous les royaumes de la terre. Il lui dit : « Je te donnerai tout ce pouvoir, et la gloire de ces royaumes, car cela m’appartient et je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu te prosternes devant moi, tu auras tout cela. » Jésus lui répondit : « Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras. » Puis le démon le conduisit à Jérusalem, il le plaça au sommet du Temple et lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Jésus répondit : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » Ayant ainsi épuisé toutes les formes de tentations, le démon s’éloigna de Jésus jusqu’au moment fixé."

Après avoir reçu le baptême de Jean dans le Jourdain, Jésus est conduit par le Saint Esprit dans le désert. Là au bout de quarante jours de jeûne il se trouve en bute aux tentations du diable ; trois assauts se succèdent à peine interrompus par des changements de scène : dans le désert, sur une haute montagne, sur le pinacle du Temple.

Dans ce récit, la mention des quarante jours de jeûne est un rappel manifeste des quarante ans de l’Exode. Les trois citations que Jésus emprunte au Deutéronome pour rétorquer aux trois tentations du démon, le confirment. Jésus se réfère au Deutéronome pour appliquer les leçons que ce livre avaient tirées des différentes épreuves traversées par le peuple d’Israël au désert. Le parallélisme avec l’Exode ne se borne donc pas ici au chiffre quarante. Il réside dans la substance même de ces quarante années, qui consistèrent en une tentation. Mais une tentation de qui envers qui ? De Dieu envers son peuple ? Ou du peuple envers son Dieu ?
Si l’Ancien Testament a souvent interprété la traversée du désert par les Israélites comme une tentation venant de Dieu, dans l’évangile de ce jour, les choses sont clarifiées. La tentation ne vient pas de Dieu mais du démon. Dieu éprouve mais ne tente pas c’est-à-dire ne sollicite pas au mal. Déjà après l’exil, le judaïsme s’était habitué à ne plus attribuer les tentations à Dieu mais au diable, déchargeant ainsi Dieu de toute responsabilité dans le mal.

Comme le peuple élu au désert, Jésus va être tenté sur la confiance en son Père. Tout d’abord sur la confiance en sa providence. Pour répondre à la tentation du démon, Jésus va s’appuyer sur Dt 8,3 qui renvoie à l’épisode de la manne décrit en Ex 16,4 : « Voici que du ciel je vais faire pleuvoir des pains ; le peuple sortira et ramassera ce qu’il faut pour chaque jour, afin que je les éprouve pour voir s’il suivront ma loi ou pas ». Au désert, le peuple d’Israël avait aussi succombé à la tentation de s’approprier la manne en la thésaurisant de peur d’en manquer. Pourtant Dieu avait bien demandé à son peuple de n’en ramasser que le nécessaire pour chaque jour. Et si Dieu reprenait ses dons ? Et si Dieu ne tenait pas parole ? Un tien vaut mieux que deux tu l’auras, comme dit le proverbe. Passage de la confiance à la défiance vis à vis de Dieu.
Jésus répondit : « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre. »Jésus se montre victorieux de la tentation en affirmant sa confiance totale en son Père, son abandon total entre ses mains. Il nous redit que le Père est fidèle à sa Promesse et que ses dons sont sans repentance. Il nous invite à revenir à lui qui est la source de toute vie.

Le démon revient alors à la charge. Il l’emmène plus haut et lui fait voir d’un seul regard tous les royaumes de la terre en lui promettant de lui donner pouvoir et gloire sur eux s’il se prosterne à ses pieds. La réponse de Jésus est cinglante : « Il est écrit : Tu te prosterneras devant le Seigneur ton Dieu, et c’est lui seul que tu adoreras. »
Jésus reprend ici Dt 6, 13 qui fait référence au moment de la prise de possession par Israël du pays de Canaan. En effet, à son arrivée, Israël sera tenté de vouer un culte aux divinités cananéennes considérées comme les maîtres (baals) du pays. Il y a un parallèle entre la situation de Jésus et celle d’Israël avant son entrée dans cette terre. Les israélites s’emparèrent d’un pays qui était censé appartenir aux dieux des nations qu’ils délogeaient ; le Fils de Dieu doit recevoir l’empire sur un monde païen et idolâtre qui est au pouvoir du prince des ténèbres. Là où Israël a succombé, Jésus va triompher en renonçant à tout accommodement dans l’exercice de sa royauté. Le seul pouvoir que Jésus accepte est celui qu’il reçoit de son Père : « Tout m’a été remis par mon Père » dira-t-il. C’est de lui et de lui seul que, ressuscité, « tout pouvoir lui sera donné au ciel et sur la terre » (Mt 28,18).

C’est alors que le démon conduit Jésus jusqu’à Jérusalem et le place au sommet du Temple. « Si tu es le Fils de Dieu, lui dit-il, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi à ses anges l’ordre de te garder ; et encore : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. » Ultime tentation portée à la confiance envers le Père. Jésus répond ici avec Dt 6, 16 : « Il est dit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » C’est un renvoi direct à l’épisode des eaux de Massa et Mériba (Ex 17,1-7) où le peuple dans le désert de Sîn avait murmuré contre Dieu à cause du manque d’eau.
Là se fut le peuple qui tenta Dieu en lui imposant de faire un miracle pour attester de sa présence. Mais là où le peuple avait péché en sommant Dieu d’intervenir, Jésus ne péchera pas. Il ne mettra pas Dieu en demeure d’opérer un miracle en sa faveur.
Cela nous ramène à l’humilité devant Dieu. Je n’ai rien à exiger de lui. Non pas parce qu’il ferait tout ce qu’il veut sans tenir compte de ma personne mais parce qu’il fait tout ce qu’il veut, certes cela est bien vrai, mais en me donnant tout. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ». Là aussi, séquelle du péché originel que de croire que Dieu se garderait quelque chose pour lui tout seul et dont il me priverait. « Tu peux manger de tous les arbres du Jardin ». Vous entendez bien frères et sœurs « Tu peux manger de tous les arbres du jardin ». Mensonge que les paroles du serpent qui dit à Eve « alors Dieu a dit que vous ne pouviez pas manger de tous les arbres du Jardin ». Dieu n’est pas un rival jaloux. Dès le commencement, il nous a tout donné. C’est le serpent qui depuis les origines ne cesse de nous murmurer l’inverse.

Ainsi, là où Israël avait échoué par ses murmures, Jésus traverse victorieusement l’épreuve en reconnaissant et en proclamant que la vie véritable se trouve en Dieu. Il ne tombe pas dans la défiance vis à vis de la Promesse de son Père. Il garde confiance en lui car il sait que son Père est fidèle. Derrière la hauteur sur laquelle le démon conduit le Seigneur pour le tenter se profile la montagne du rendez-vous pascal. Sur cette montagne Jésus se révèlera pleinement Fils en s’abandonnant dans une confiance absolue entre les mains du Père et ce dernier se révèlera pleinement Père en le ressuscitant. Cette victoire de la vie sur la mort et sur le péché par l’abandon confiant du nouvel Adam entre les mains du Père est ici anticipée. Saint Luc l’a bien compris puisqu’il termine l’épisode par ces mots : « Ayant épuisé toute tentation, le diable s’éloigna de lui jusqu’au moment favorable ».

Dans la mise à l’épreuve du Fils de Dieu se dessine le chemin à venir de l’Eglise. Issue avec lui d’un baptême qui ouvre un nouvel exode, elle doit se rappeler quelles tentations il a déjà vaincues pour elle et refuser tout autre pouvoir que celui de Dieu. Ce serait un leurre que de croire échapper aux tentations. Mais nous ressortirons vainqueurs du combat dans la mesure où nous nous dessaisirons de nos fausses sécurités humaines pour ne nous appuyer que sur Dieu seul au nom de sa fidélité.

« Seigneur Jésus, tu as triomphé du malin par ta confiance et ton abandon total entre les mains du Père. Tu nous redis aujourd’hui que le Père est fidèle à sa Promesse et que ses dons sont sans repentance. Puissions-nous, durant ce carême, revenir à lui qui seul est la source de toute vie en nous détournant de tout succédané frelaté de cette vie véritable. »