Catholique.org - Questions essentielles

Octave de Pâques

Les femmes viennent de recevoir la première annonce de la Résurrection. « Tremblantes et toutes joyeuses », elles courent porter la nouvelle aux disciples, comme l’Ange le leur a ordonné. C’est sur ce chemin de l’humble obéissance et de la foi partagée que Jésus vient à leur rencontre et se fait reconnaître.
Sa salutation est une invitation à l’allégresse : « Kairete » ; une exhortation à abandonner toute peur : « Soyez sans crainte ». Le Seigneur ressuscité confirme les paroles de l’Ange ainsi que la mission que celui-ci avait confiée aux femmes : « Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront ». L’annonce de la Résurrection est toujours conjointement un appel à rejoindre le Seigneur afin de le contempler là où il se donne à « voir » : dans nos Galilées quotidiennes.
Le Père n’a pas ressuscité son Fils pour nous l’arracher ; sa résurrection ne pèse pas sur nous comme la menace d’une vengeance de Dieu prête à se déchaîner sur tous ceux qui ont participé de près ou de loin à sa Passion. L’exaltation du Fils de l’homme est au contraire la Bonne Nouvelle de la victoire définitive de la Vie et l’invitation à entrer dès à présent dans ce mystère, en nous unissant au Christ ressuscité par une foi émerveillée et reconnaissante : « Je regardais le Seigneur sans relâche ; il est à mon côté : je ne tombe pas. Oui, mon cœur est dans l’allégresse, ma langue chante de joie ; ma chair elle-même repose dans l’espérance, car tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton fidèle connaître la corruption. Tu m’as montré le chemin de la vie, tu me rempliras d’allégresse par ta présence » (1ére lect.).
L’Emmanuel accomplit le programme que signifie son nom : Dieu est « avec nous » (Mt 1,23) « pour toujours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20). Nous n’avons plus à vivre dans la tristesse d’une existence insensée, vouée dès la naissance à une mort inévitable. « Le peuple qui demeurait dans les ténèbres a vu une grande lumière : sur ceux qui demeuraient dans la région sombre de la mort, une lumière s’est levée » (Mt 4,16) ; la lumière de l’espérance de notre participation à la vie de celui qui est descendu dans nos tombeaux pour en rouler victorieusement la pierre. Certes nous mourrons, mais depuis que Jésus a traversé notre mort, celle-ci n’est plus qu’un passage vers la lumière qui ne s’éteint pas et la vie qui ne finit pas.
Tandis que les femmes se mettent en chemin, en hâte et toutes joyeuses comme Marie se rendant chez sa cousine Elisabeth après l’Annonciation, voilà qu’elles croisent un cortège d’hommes portant la même information, mais qui sont loin de partager leur joie, car pour eux, cette « nouvelle » n’est point « bonne ».
Tout oppose ces deux groupes : alors que les femmes quittent la ville - symbole du monde ancien et de la première Alliance désormais dépassée - pour se rendre au lieu où le Seigneur ressuscité leur a donné rendez-vous, les hommes, eux, retournent dans la cité, et leur témoignage rassemble dans la fébrilité et le trouble, ceux-là même qui ont condamné à mort le Vivant.
Les mêmes événements, qui ont converti ces femmes simples dont le cœur était demeuré ouvert à l’action de la grâce, vont provoquer l’endurcissement de ces responsables religieux, trop attachés à leur réputation et à leur pouvoir pour reconnaître leur erreur.
Pour sauver la face, ils vont s’enfoncer dans le mensonge en soudoyant les témoins, leur ordonnant de répandre la fausse rumeur du vol du cadavre. Ce n’est sans doute pas sans une pointe d’ironie que l’évangéliste souligne la contradiction interne au mensonge : comment pourrait-on donner foi à la version des soldats, alors qu’ils commencent par avouer qu’ils étaient endormis ?
Quoi qu’il en soit, « cette explication s’est effectivement propagée jusqu’à nos jours », comme le souligne Saint Matthieu ; et pas seulement « chez les Juifs » : dans la controverse qui tente d’opposer un « Jésus de l’histoire » au « Christ de la foi », la thèse du vol du corps du Seigneur, en vue de rendre crédible le message d’une soi-disant résurrection orchestrée par les disciples, demeure un des arguments favoris des rationalistes. Comme ceux-ci excluent a priori le surnaturel, et réduisent d’amblée toute intervention de Dieu dans le cours de l’histoire à un mythe, ils sont bien obligés de trouver une autre explication au tombeau vide.
Mais jugeons l’arbre à son fruit : l’Evangile de ce jour nous fait pressentir l’abîme qui sépare ces deux groupes de personnes : les femmes s’en vont toutes joyeuses, porter la Bonne Nouvelle du triomphe de la vie ; elles annoncent la proximité du Prince de la Paix au cœur même de notre existence quotidienne, qui s’en trouve illuminée de la lumière douce et chaleureuse de sa présence ; les hommes, eux, s’enfoncent dans le trouble et les ténèbres du mensonge ; par l’obstination et l’endurcissement de leur cœur, ils s’excluent eux-mêmes de la paix et de la joie du Royaume, auxquelles le Ressuscité persiste pourtant à les inviter.
Ces deux expériences ne nous sont probablement pas étrangères : n’est-il pas vrai que tout se simplifie dès que nous accueillons le Seigneur ? Et que tout s’obscurcit et se complique lorsque nous oublions sa présence et voulons nous débrouiller sans lui, ou agir malgré lui, voire contre lui ? Cette simplicité, cette paix, cette joie profonde sont des signes sûrs de la présence du Ressuscité, alors que la complication, le trouble, la tristesse trahissent que nous avons lâché sa main, que nous tournons le dos à celui en-dehors de qui nous ne pouvons rien faire de bon.
Sachons rendre grâce au Seigneur de nous avoir jugés dignes de croire en lui et de nous envoyer témoigner de sa Résurrection malgré notre tiédeur et notre médiocrité. Comment ne pas nous émerveiller d’entendre Jésus nous appeler « ses frères », alors que nous avons, chacun pour notre part, contribué aux souffrances de sa Passion par nos si nombreuses trahisons ?
Le cœur débordant de reconnaissance, sachons redire notre amour à celui qui veut établir en nous sa demeure ; et offrons lui les paroles que l’Esprit met lui-même sur nos lèvres :

« Je garde les yeux fixés sur toi, Seigneur sans relâche ; tu es à ma droite : je suis inébranlable. Je n’ai pas d’autre bonheur que toi ; tu m’apprends le chemin de la vie : devant ta face débordement de joie, à ta droite, éternité de délices ! » (Ps 15[16])