Catholique.org - Questions essentielles

Férie du Temps Pascal

Une énigme peut éclairer l’évangile de ce jour : « Lors de ma venue, je pleure et tout le monde rit ; lors de mon départ, je ris et tout le monde pleure. Qui suis-je ? » La réponse est facile : il s’agit de l’homme, même si la seconde condition n’est pas toujours remplie. Il est étonnant que la vie ne puisse être accueillie que dans les larmes, au point que les sages femmes notent avec précision le moment de ce premier cri comme étant celui de la prise en charge par le nouveau-né de son autonomie vitale. L’enfant qui ne pleure pas à la naissance n’est pas vraiment né ; il n’affronte pas son nouveau milieu de vie, il refuse en quelque sorte de naître, ce qui correspond hélas à un choix de mort.
Seule la mère compatit pleinement à la souffrance initiatique du nouveau-né et pour cause : c’est un morceau de sa chair qui prend son autonomie. Certes il ne s’éloigne que pour mieux retrouver celle qui l’a abrité durant neuf mois ; mais tout arrachement à une relation fusionnelle en vue d’accéder à une communion interpersonnelle est toujours douloureux.
Nous avons d’ailleurs tous pu le vérifier à chaque étape importante de notre croissance : nous ne grandissons en maturité qu’au prix d’une suite d’arrachements pénibles à ce qui est ancien. Bien plus : ces ruptures constituent la condition de possibilité de l’accueil de la nouveauté qui s’annonce.
Jésus nous enseigne que cette loi de la croissance vaut aussi au niveau spirituel. Naître à la vie divine ne peut se réaliser qu’au prix d’une mort et donc d’une souffrance qui nous arrache des larmes et des lamentations. Notre-Seigneur a voulu passer par là en premier : il souffre sur la Croix les douleurs de l’enfantement de l’homme nouveau. C’est dans un grand cri qu’il passe de ce monde à son Père : cri de souffrance du nouveau-né, cri de victoire de la vie qui s’est arrachée aux filets de la mort où elle était maintenue prisonnière depuis le péché des origines.
La tradition a toujours voulu reconnaître en Marie, debout au pied de la Croix, la Mère des douleurs qui participe aux souffrances de cet enfantement de l’humanité nouvelle. Celle qui enfantât la Tête sans douleur dans la nuit de Noël, a cependant à traverser cette souffrance au moment où est enfanté le Corps, dans les ténèbres du vendredi saint.
Mais le dernier mot n’est pas à la douleur : « Votre peine se changera en joie » ; ce qui est vrai pour le nouveau-né l’est aussi pour la mère : « Quand l’enfant est né, elle ne se souvient plus de son angoisse, dans la joie qu’elle éprouve du fait qu’un être humain est né ». Après le recueillement de la semaine sainte, l’Eglise laisse éclater sa joie au matin de Pâques : unissant sa louange à celle de tous les Anges et de toute la création, elle exalte le Seigneur pour sa victoire et applaudit la naissance du monde nouveau, dans lequel « la mort n’existera plus ; où il n’y aura plus de pleurs, de cris, ni de tristesse ; car la première création aura disparu, et Dieu essuiera toute larme de nos yeux » (Ap 21, 4).
Certes nous sommes encore pèlerins de ce monde qui passe, où la joie ne peut naître que de la souffrance dépassée ; mais pourtant quelque chose a basculé irréversiblement. Une joie nouvelle inonde notre terre, subtile, mystérieuse, comme le premier rayon de lumière qui annonce, triomphant, que la nuit est finie, et que le jour est tout proche : la joie de l’Esprit, qui étend patiemment le règne du Christ jusqu’à son retour en gloire. Nous pouvons désormais, tout comme Notre-Seigneur, remplir la seconde condition de notre énigme et vivre notre Pâque dans la joie, car nous savons que la mort est vaincue et n’est plus qu’un passage vers la vie : « Si vous m’aimiez vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi » (Jn 14, 28).
Puissions-nous nous aider mutuellement à vivre les petites et les grandes morts de notre pèlerinage dans la lumière de Pâques. Il ne s’agit pas de nous culpabiliser de notre peine légitime face aux épreuves douloureuses de la vie, mais de découvrir que toute souffrance est désormais pénétrée d’une paix et d’une joie qui ne viennent pas de nous. La paix et la joie de l’Esprit jaillissant du Cœur du Ressuscité, qui nous attend sur l’autre rivage.

« Tu nous recrées, Seigneur, pour la vie éternelle dans la résurrection de notre Sauveur qui règne désormais auprès de toi ; dirige nos cœurs vers sa gloire, afin qu’au jour où il viendra de nouveau, ceux que tu as fait renaître par le baptême soient revêtus de sa lumière impérissable. Par Jésus, le Christ, Notre-Seigneur » (Oraison d’ouverture).