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Benoît XVI, un des derniers défenseurs de la raison

Benoît XVI est-il en train de perdre le capital de sympathie laborieusement acquis depuis son élection, le 19 avril 2005 ? On s’en souvient, le choix du préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi pour succéder à Jean-Paul II n’avait alors guère soulevé d’enthousiasme. Très vite, cependant, on découvrit que le pape « conservateur rétrograde et dogmatique » était un homme courageux, d’une immense culture et ouvert au dialogue avec tous. Aux États-Unis, en Australie, en France, il su trouver les mots pour retourner une opinion qui ne lui était pas d’emblée favorable. Ses récents propos sur le sida et le préservatif ne viennent-ils pas anéantir tout le bénéfice d’une politique de la « main tendue », seule ligne de conduite qu’affirme suivre Benoît XVI depuis le début de son pontificat ?

Dans l’avion qui l’emmène vers l’Afrique, interrogé par des journalistes, le pape prétend en effet que « si on n’y met pas l’âme, si on n’aide pas les Africains, on ne peut pas résoudre ce fléau (du sida) par la distribution de préservatifs : au contraire cela augmente le problème ». Traduction : mettre un préservatif expose au sida. Tollé d’indignations : ce pape « commence à poser un vrai problème », il est « dans une posture irresponsable », il « risque de provoquer des centaines, voire des milliers de morts ».

L’unanimité un peu suspecte, la rivalité des politiques et des people dans la surenchère laissent songeur... Mais c’est surtout cette contradiction qui m’étonne, affirmant dans le même temps que plus personne ne tient compte des principes moraux énoncés par le pape et que son discours va « alimenter le nombre d’infections ». Pour la prévention du sida, il n’y aurait donc que le préservatif.

Chacun le sait pourtant, le préservatif n’a qu’un impact limité sur l’épidémie parce que la protection est imparfaite, parce que l’usage est souvent irrégulier, parce qu’il favorise la désinhibition qui incite à prendre des risques conduisant un jour ou l’autre à l’infection. Chacun sait que la politique en place depuis près d’un quart de siècle n’a pas donné les résultats attendus et que l’épidémie continue à progresser avec 3 à 4 millions de contaminations par an. Mais la confiance absolue dans le préservatif reste, dans les pays occidentaux, l’unique message à destination du public. Je n’oserais pas dire qu’une prévention uniquement centrée sur le latex relève du « dogme » : elle relève de la pure idéologie.

L’Église, d’abord parce qu’elle a en charge 27 % des centres de traitement des malades du sida dans le monde, estime avoir le droit de proposer une alternative. Ce que le pape a vraiment dit, c’est que la réponse au sida n’est pas tant dans un moyen mécanique que dans le changement des comportements, dans une « humanisation de la sexualité », dans « une nouvelle manière de se comporter l’un avec l’autre ». En Afrique, là où les comportements ont changé, le sida a reculé. En Ouganda, chose impensable pour nous Français, le programme ABC combine les méthodes pour réduire les risques : Abstain, Be faithful, and if you must, use Condom (Abstiens-toi, sois fidèle et, si tu dois, utilise le préservatif).

L’Église ne dit pas autre chose : on ne doit pas « donner la mort ». En plaidant pour une éducation à une sexualité responsable - et c’est ce qu’on attend de lui -, le pape est accusé de « meurtre prémédité », de « crime contre l’humanité ». On ne peut assister en spectateur muet à ce renversement de responsabilité, à la remise en marche du mécanisme de la victime émissaire, à ce rejet viscéral et infantile de la figure du « père ». Les décideurs et faiseurs d’opinion ne pouvaient s’attaquer à Jean-Paul II, véritable personnage historique de son vivant, mais ils feront tout pour rendre le pontificat de Benoît XVI invivable. Le vrai courage politique consisterait plutôt à soutenir le pape comme un des derniers défenseurs de la raison dans le désarroi contemporain. Nos responsables politiques ont beau jeu de « tomber des nues », d’être « ahuris », « catastrophés » par ses propos en Afrique. Benoît XVI, lui, pense que les Africains peuvent transformer ce continent de tous les fléaux en « un continent de l’espérance ».

frère Joël Boudaroua

sous-prieur des dominicains de Bordeaux

Tribune libre publiée dans le Journal Sud Ouest