Catholique.org - Questions essentielles

3ème dimanche du temps Pascal, Solennité du Seigneur.

Vous souvenez-vous ce qui s’est passé sitôt après la rencontre de Jésus ressuscité aux disciples d’Emmaüs ? Ils ont tout laissé sur place et ils se sont précipités, alors que la nuit tombait, pour rejoindre les apôtres restés à Jérusalem. Arrivés là-bas, ils n’ont pourtant pas pu témoigner de l’enthousiasme qui les faisait courir : « ils trouvèrent réunis les Onze qui leur dirent "C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon" » (Lc 24, 34). Quelle surprise ! Ils rapportent un événement proprement inouï, unique, mais ils n’en ont pas eu l’exclusivité. Nous imaginons sans peine l’agitation du groupe… Personne n’avait prédit la Passion, personne non plus n’avait imaginé la résurrection. Et pourtant, aucun doute, il est vivant ! Ils l’ont bien reconnu, même s’il leur a fallu un peu de temps.

« Comme ils en parlaient encore, lui-même était là au milieu d’eux ». Eux qui avait déjà rencontré le ressuscité le jour-même, étaient pourtant « frappés de stupeur et de crainte ». Sans doute est-il des rencontres auxquelles ont ne s’habitue pas facilement. Le Seigneur, lui, ne se laisse pas dérouter : « Pourquoi êtes-vous bouleversés ? (…) Touchez-moi, regardez : un esprit n’a pas de chair ni d’os, et vous constatez que j’en ai ».

Il est clair que les disciples ont besoin de prendre lentement conscience de la réalité de la résurrection, personne ne s’avancerait pour reprocher leur lenteur et leur étonnement. Ce n’est pas pour rien que Jésus a voulu qu’après la Pâque, ils disposent d’un long temps d’instruction et de préparation à la Pentecôte. Mais en quoi tous ces détails pittoresques nous concernent-ils ? Pourquoi avons-nous nous aussi à respecter un itinéraire de 40 jours après la Pâques, nous qui fêtons et méditons ce mystère chaque année ?

Parce que nous en avons besoin, au moins autant que les apôtres. Jésus montre ses mains et ses pieds, il mange, pour convaincre les apôtres qu’il n’est pas un esprit et pour nous en empêcher de le croire nous aussi, petit à petit. Les années et les siècles s’écoulant, il ne faudrait pas que nous soyons tentés de réduire le Christ à ses discours et le christianisme à un slogan, fût-il « aimez-vous les uns les autres ». Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, maintenant et pour toujours. La chair et les os de notre Seigneur font partie de lui, ils sont la parole vécue jusqu’à l’offrande de la Croix. La résurrection n’est pas une simple assurance de survie, elle est la vie elle-même. Si nous voulons découvrir le sens des paroles que Jésus nous a laissées, notamment au soir du Jeudi Saint, il nous faut considérer la figure de Jésus dans sa totalité vivante. Jésus nous montre donc à la fois que son corps est vivant et réel, en mangeant, et qu’il nous fait méditer sur sa vie et ses souffrances, en montrant ses mains et ses pieds transpercés par notre péché.

L’obstacle à notre pleine participation à la résurrection, l’empêchement qui nous vaut un long d’éducation, est en effet notre péché. Saint Pierre le dit clairement à ses auditeurs : « Lui, le Saint, le Juste, vous l’aviez rejeté » ; « Lui, le chef des vivants, vous l’avez tué ». Ce n’est pas un réquisitoire, mais un appel à la conversion. Cet appel, lancé devant tout le peuple, n’est pas à destination seule des notables juifs qui questionnent Pierre. Saint Jean nous interpelle d’ailleurs lui aussi : « Mes petits enfants, je vous écris pour que vous évitiez le péché ».

Cet appel est vif, mais il est plein d’espérance, car, explique saint Jean, « nous avons un défenseur devant le Père : Jésus-Christ, le Juste ». Il est en effet « la victime offerte pour nos péchés, et non seulement les nôtres, mais ceux du monde entier ». Le choix de se convertir, de s’engager librement et résolument pour le Christ est donc rendu possible par la victoire de Jésus sur le mal et la mort. En cela son humanité est importante. L’homme, en effet, était le débiteur de Dieu ; tout au long de l’histoire sainte il tentait de s’affranchir de sa dette et de se rapprocher de Dieu par des sacrifices multiples. Il s’agissait souvent de sacrifice d’animaux, notamment de l’agneau de la pâque. Toutes ces tentatives sont trouvent désormais leur accomplissement en Jésus-Christ. Il est, lui, l’agneau de Dieu. Or, parce que nous avons péché contre Dieu et parce que Jésus est vraiment homme, l’agneau pascal, au fond, c’est nous-mêmes. Par son sacrifice Jésus-Christ nous rend capables de plaire à Dieu, de revenir à lui.

Voilà pourquoi il est important pour Jésus ressuscité de faire reconnaître ses mains et ses pieds et de manger avec ses disciples. Voilà aussi la démarche dans laquelle saint Pierre est entrée en prenant la parole devant tout le peuple. Lui aussi a eu sa conversion. A présent, il enseigne avec assurance. Son témoignage est important, car, explique-t-il, les anciens ont péché par ignorance. C’est bien l’objet de la prière de Jésus peu avant sa mort : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Pierre les instruit donc du sens de l’histoire. Pas seulement de son contenu, mais aussi de sa direction. Car dans ces événements sombres, « Dieu accomplissait sa Parole ». Personne n’avait imaginé ce qui se produirait, mais à la lumière de la résurrection, il est possible de relire et de comprendre. Cette nécessité nous montre que l’Ancien Testament n’est pas une prédiction et que les prophètes ne disent pas l’avenir. Ils indiquent un chemin. Ils nous font tendre vers celui qui est le chemin, celui qui est le sens de l’histoire, le sommet vers lequel elle tend.

La résurrection met en lumière cet itinéraire et change notre idée de la conversion. Se convertir n’est pas seulement changer de vie pour la rendre conforme aux préceptes divins, c’est d’abord un acte volontaire d’adhésion au Christ, un choix délibéré de ne regarder que lui, le modèle de notre humanité. Nous avons à le faire aujourd’hui encore, pour que la grâce de la résurrection prenne son ampleur en nous. Il ne peut plus y avoir de regard centré sur-nous-mêmes, nous n’avons même plus à entretenir de désir de perfectionnement personnel. La seule chose qui compte désormais est, comme le dit saint Jean, de « garder fidèlement la Parole », de l’incarner, d’en vivre fidèlement, pour que « l’amour de Dieu atteigne vraiment sa perfection » en nous. Là est la seule perfection qui ait de l’importance.

Nous voici éclairés en vérité sur l’ensemble du dessein de Dieu sur notre histoire. Nous sommes dépositaire d’un trésor. Il nous faut en vivre pour qu’il prenne corps et ne reste pas une lettre morte. Il nous en vivre pour être de parfaites images de notre Seigneur, pour être de vrais chrétiens. En somme, pour obéir au commandement du Seigneur qui nous envoie : « C’est vous qui en êtes témoins ».