« Ne voit-on pas dans l’Opus un ‘concentré’ de tout ce que notre époque reproche à l’Église romaine ?, s’interroge-t-il.... Nous entrons dans une ère où le christianisme n’est plus connu des foules. Il est urgent de ‘ré-informer’ nos contemporains. C’est ce que j’ai voulu faire ».
Q - Pourquoi cette enquête sur l’Opus Dei ?
P. de Plunkett - Parce que le super-film hollywoodien Da Vinci Code (au festival de Cannes le 17 mai) succède au roman Da Vinci Code (40 millions d’exemplaires vendus dans le monde) !
On sait que ce roman donne un rôle de monstre à l’Opus Dei, à son prélat ténébreux et à son « moine-tueur »... Roman + film assènent aux masses ce message : 1/ « L’Opus Dei est un monstre », 2/ « il est le produit de l’Église », 3/ « donc l’Église fait des monstres ». Ce message étant propagé par des moyens colossaux sur toute la planète, on ne peut le prendre à la légère. Il faut démonter la machinerie en commençant par le début : l’Opus Dei est-il un monstre ? D’où mon enquête.
Q - Alors : est-ce un monstre ?
P. de Plunkett - Aux yeux de ceux qui ont bâti puis diffusé la légende noire de l’Opus Dei, oui ! Mais qui sont-ils ? La première partie de mon enquête fait la lumière sur eux. Et l’on a beaucoup de surprises... Ce n’est pas la gauche qui a ouvert les hostilités contre l’Opus Dei : c’est l’aile dure du franquisme, dans l’Espagne des années 1940, parce que Josémaria Escriva refusait de s’intégrer à l’idéologie officielle de l’époque ! « Sainte Mafia », « franc-maçonnerie blanche » : tous ces termes dont nos médias usent (aujourd’hui) quand ils parlent de l’Opus Dei, ont été forgés il y a plus de soixante ans par les journaux de la Phalange espagnole !
Q - Mais ensuite, pourquoi la légende noire de l’Opus Dei a-t-elle traversé les décennies ?
P. de Plunkett - Parce que, de 1970 à nos jours, notre société en pleine évolution a projeté ses fantasmes successifs sur l’Opus Dei, selon les « besoins » de chaque époque :
Pendant les seventies, les médias rhabillent l’Opus Dei en « mafia de droite » hostile aux idées de 1968.
Pendant les années 1980, ils décident que l’Opus Dei incarne la « secte » des ennemis de l’hédonisme individualiste et de la société de consommation.
Pendant les années 1990, ils décident que le « dérapage conservateur de l’Église de Jean-Paul II » ne peut s’expliquer que par « un complot », forcément ourdi par l’Opus Dei.
Après le 11 septembre 2001, les médias rhabillent une fois de plus l’Opus Dei en autre chose : cette fois c’est « le réseau secret qui conspire pour le triomphe de l’Occident chrétien ». Ce nouveau fantasme correspond à l’évolution des leaders d’opinion en Europe : se sentant menacés par l’islamisme, mais ne voulant pas avoir l’air d’affronter l’islam, ils cherchent à se poser en censeurs de « tous les fondamentalismes dans toutes les religions ». Et dans la religion catholique, ils attribuent ce rôle à l’Opus Dei !
Ainsi, de période en période, de fantasme collectif en fantasme collectif, la société se sert successivement du mythe de « l’Opus monstre » pour des usages différents, voire contradictoires... D’où ce paradoxe très significatif : l’Opus Dei, désigné comme « ennemi des valeurs d’aujourd’hui » par la Phalange espagnole en 1941, est encore désigné comme « ennemi des valeurs d’aujourd’hui » en 2006 par les libéraux-libertaires qui votent Delanoë !
Ces soixante ans de légende noire expliquent comment Dan Brown a pu en rajouter encore une couche, encore plus sombre et plus effrayante, et se tailler un pareil succès. Le public a « marché » aussitôt, parce qu’il était habitué à entendre désigner l’Opus comme un monstre. La clé des grands succès de librairie, c’est d’aller à la rencontre d’une évidence populaire : une image (vraie ou fausse), répandue profondément et largement à l’avance...
Dans l’histoire des fantasmes, le « complot de l’Opus Dei » succède au « complot jésuite », au « complot franc-maçon », au « complot juif ». Comparer tous ces mythes du complot, du XIXe siècle à aujourd’hui, réserve une autre surprise : à toutes les époques (et surtout quand le monde change), l’opinion publique a besoin de croire à des complots. J’étudie ça dans un chapitre de mon enquête.
Mais si l’Opus Dei est mal vu par les leaders d’opinion à chaque génération, c’est qu’il y a tout de même en lui quelque chose :
Est-ce une « monstruosité », tellement « monstrueuse » qu’elle ferait peur à la fois à une Chemise bleue de 1940 et à un journaliste bobo de 2006 ?
Ou est-ce simplement une vision de la vie qui échapperait au politiquement-correct de chaque époque ?
Q - Donc vous avez enquêté à l’intérieur de l’Opus Dei ...
P. de Plunkett - Oui. Et j’ai eu accès à toutes les informations que je souhaitais. Secoué par la violence folle de l’agression Da Vinci Code, l’Opus Dei a compris - un peu tardivement - que sa traditionnelle discrétion, qualifiée de « culte du secret » par ses adversaires, se retournait contre lui. Aujourd’hui, la sécurité c’est la transparence : il est indispensable de faire comprendre qui l’on est exactement, et ce que l’on fait, et pourquoi l’on agit ainsi.
L’Opus Dei a donc coopéré à mon enquête sans réticence. On le constate dans mon livre : réponses franches et détaillées de jeunes femmes et de jeunes hommes membres de « l’Œuvre », confidences d’ex-membres disant pourquoi ils sont partis (et dans quelles conditions), divulgation de données immobilières et financières, explication de l’esprit opusien, exposé clair et net de la gestion des multiples structures de la « mouvance Opus » à travers le monde, éclaircissements sur les démêlés du passé au sein de l’Église...
J’ai aussi enquêté sur le terrain : entre autres dans une institution de l’Opus Dei où plusieurs de mes confrères avaient cru voir récemment un « scandale » épouvantable (rappelez-vous une émission de Canal Plus en 2003, et un livre en 2005)... Après mon enquête, il y a beaucoup de choses qu’on ne pourra plus continuer à affirmer au sujet de l’Opus Dei !
J’ai aussi rencontré des personnages étonnants, dont la présence au sein de l’Opus Dei va stupéfier ceux qui s’en faisaient une image conventionnelle...
Mon livre pose les questions brûlantes et obtient en réponse des éléments objectifs : sur le « conservatisme » dont la presse accuse l’Opus Dei, sur les supposées « dérives sectaires », et bien entendu sur les fameuses « affaires politico-financières »... Je raconte notamment ce qui s’est passé en réalité lors de l’assassinat du banquier Calvi : un récit qui fait pâlir les films les plus noirs sur la Mafia sicilienne. (C’est d’ailleurs elle qui a pendu Calvi sous le pont de Londres. Après quoi elle a cherché à faire diversion, en accusant... l’Opus Dei. Même la Mafia est donc capable de faire du mauvais journalisme !)
Q - Vous pensez avoir fait œuvre utile avec cette enquête ?
P. de Plunkett - Sincèrement oui : parce qu’on ne doit pas laisser proliférer les fausses évidences. Dans les salons du livre et les débats où je suis intervenu depuis septembre 2005 (pour mon précédent livre : Benoît XVI et le plan de Dieu), les gens finissaient toujours par m’interroger, de façon soupçonneuse, sur « le pape et l’Opus Dei » : comme si la nocivité de l’Opus était un fait établi. Cette mauvaise image est due en partie à la stratégie du silence - la « discrétion » - trop longtemps appliquée par l’Opus Dei. Sans doute aussi y a-t-il eu des fautes de la part de membres ou de responsables opusiens ; ce sont les aléas de toute organisation, et je les examine dans mon livre... Mais rien, dans les faits, ne correspond aux accusations (énormes et même invraisemblables) qui circulent à l’encontre de l’Opus Dei !
Alors : pourquoi cette disproportion ? Ne cherche-t-on pas à atteindre l’Église catholique au travers de l’Opus ? Ne voit-on pas dans l’Opus un « concentré » de tout ce que notre époque reproche à l’Église romaine ? Dans ce cas, faire la lumière sur la fille (l’Opus), c’est faire la lumière sur la mère (l’Église)... Nous entrons dans une ère où le christianisme n’est plus connu des foules. Il est urgent de « ré-informer » nos contemporains. C’est ce que j’ai voulu faire.
Le site libertepolitique.com qui publie cet entretien annonce une rencontre-débat avec Patrice de Plunkett à Cannes le 18 mai, salle du Prado - 20 avenue Prince-de-Galles, à 20h30. Cette réunion est organisée avec l’appui du diocèse de Nice.
Patrice de Plunkett,
Opus dei, enquête sur le « monstre »,
Presses de la renaissance, 17 mai 2006, 18,05 €