Le plan de l’Exhortation
Quelle est la structure de cette Exhortation apostolique ?
Ce point de vue global est porteur d’une signification profonde : le plan nous aide, non seulement à mieux comprendre ce qu’est l’évangélisation à travers ses axes fondamentaux, mais aussi à développer une méthode pastorale dans la manière de regarder la réalité qui s’offre à nous pour y apporter la lumière de l’Évangile. En voici les titres de chapitres :
Chapitre 1 - Du Christ évangélisateur à une Église évangélisatrice
Chapitre 2 - Qu’est-ce qu’évangéliser ?
Chapitre 3 - Le contenu de l’évangélisation
Chapitre 4 - Les voies de l’évangélisation
Chapitre 5 - Les destinataires de l’évangélisation
Chapitre 6 - Les ouvriers de l’évangélisation
Chapitre 7 - L’esprit de l’évangélisation
De cette perspective trinitaire enracinée dans le terreau biblique, nous pouvons alors définir le sens profond et complexe de l’évangélisation et déterminer quels sont ses buts ultimes. Ce sera l’objet du 2e chapitre qui déploiera le processus d’évangélisation dans ses éléments majeurs. Les 5 chapitres suivants sont d’une facture, je dirais, plus " méthodique ". Le 3e chapitre sur le contenu de l’évangélisation traite du message inaltérable de l’Évangile et de la nécessité de le transmettre en tenant compte de la question de la liberté et de la promotion humaines. Le 4e chapitre sur les voies de l’évangélisation déploie les moyens concrets à utiliser : témoignage de vie, prédication, catéchèse, mass media, sacrements, piété populaire. Le 5e chapitre sur les destinataires donne des consignes utiles pour mieux considérer ceux à qui s’adressent l’évangélisation : première annonce, les athées, les non croyants, les non chrétiens, les non pratiquants. Dans ce chapitre, on aborde la question des communautés ecclésiales de base. Le 6e chapitre sur les ouvriers de l’évangélisation montre comment l’Église tout entière est missionnaire, dans le respect des différents charismes et états de vie : le successeur de Pierre, les évêques, les prêtres, les religieux, les laïcs, la famille, les jeunes. Enfin, le 7e chapitre sur l’esprit de l’évangélisation développe une spiritualité de la mission évangélisatrice qui exige le développement d’une vie de sainteté animée par l’Esprit Saint, agent principal de l’évangélisation.
Une perspective trinitaire
Bien que, dans le titre du dernier chapitre, le mot " esprit " porte un " e " minuscule, nous pouvons, tout en étant fidèle au contenu de pensée, le remplacer par un " E " majuscule, indiquant ainsi la place déterminante de l’Esprit Saint. Ainsi, les deux personnes de la Trinité qui portent une mission dont la source originelle s’enracine dans le coeur bienveillant du Père, c’est-à-dire le Christ et l’Esprit-Saint, encadrent d’une manière harmonieuse et significative cette Exhortation apostolique de Paul VI. Quand nous saisissons cet ensemble englobant dans la perspective du mystère de la Trinité, nous nous situons en droite ligne dans la visée théologique du Concile Vatican II : " Par nature, l’Église pérégrinante est missionnaire, puisque elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein de Dieu le Père " (Ad gentes, 2).
Nous pouvons donc affirmer que Evangelii nuntiandi applique la méthode d’intégration selon la perspective trinitaire, puisque la structure englobante (christologique et pneumatologique) est déjà révélatrice de la dynamique profondément théologique et dogmatique de l’action évangélisatrice de l’Église.
Le Christ, premier évangélisateur...
Nous pouvons souligner que la perspective christologique dans les travaux préparatoires au synode a été presque mise de côté. Ici, dans la lettre de Paul VI, elle vient en tête de la réflexion. Cela n’est pas le fruit du hasard. Sans la perspective du Christ premier évangélisateur, il aurait été impossible d’établir une réflexion synthétique sur l’activité missionnaire de l’Église.
En effet, le Christ Jésus, contemplé et médité au coeur des Évangiles, nous révèle les secrets de l’évangélisation. Le Christ envoyé par le Père a donné à son Église l’Esprit Saint pour la fécondité de l’évangélisation. Sans le Christ uni à son Église, impossible de saisir cette vision trinitaire du mystère de l’évangélisation. Ce point de vue est nettement biblique.
... pleinement habité par l’Esprit-Saint
Du dernier chapitre, nous revenons au premier. Il faut même soutenir que ce dernier chapitre s’enracine dans le premier. 1er paragraphe de ce chapitre 1er : " Le témoignage que le Seigneur donne de lui-même et que saint Luc a recueilli dans son Évangile -" Je dois annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu "- a sans doute une grande portée, car il définit d’un mot toute la mission de Jésus : " Pour cela j’ai été envoyé ". Ces paroles prennent toute leur signification si on les rapproche des versets antérieurs où le Christ venait de s’appliquer à lui-même le mot du prophète Isaïe : " L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres " (EN 6).
" L’Esprit du Seigneur est sur moi " : voilà l’affirmation majeure qui permet de saisir une clé déterminante dans la lecture de cette Exhortation apostolique. Le Christ est " le tout premier et le plus grand évangélisateur " (EN 7), parce qu’il est pleinement habité par l’Esprit Saint. Ce qui aurait pu être considéré comme source d’une tension supplémentaire, c’est-à-dire vu comme une sorte d’opposition entre le Christ et l’Esprit Saint, doit être ici complètement écarté. Déjà, dans le premier chapitre fortement christologique, se profile la personne de l’Esprit Saint.
Pas d’évangélisation sans cette perspective trinitaire
Cette intégration de la christologie et de la pneumatologie revient au numéro 75 de Evangelii nuntiandi. Paul VI affirme : " Il n’y aura jamais d’évangélisation possible sans l’action de l’Esprit Saint " (EN 75). Remarquons que le verbe de cette phrase est au futur. L’Église peut donc tourner son regard vers le passé pour constater comment a agi l’Esprit Saint. C’est ce que fait Paul VI en allant au coeur du récit évangélique pour nous faire découvrir comment le premier et le plus grand évangélisateur, Jésus Christ, tel qu’on l’a vu dans le premier chapitre, est habité par l’Esprit Saint dans sa mission d’évangélisation. En terme savant, on pourrait dire qu’il n’y a pas d’évangélisation possible sans cette christo-pneumatologie ; en termes plus simples, sans voir la profonde union du Christ et de l’Esprit Saint dans l’agir évangélisateur.
Lisons ce passage extraordinaire de Paul VI, profondément imprégné de paroles bibliques : " Il n’y aura jamais d’évangélisation possible sans l’action de l’Esprit Saint. Sur Jésus de Nazareth, l’Esprit descend au moment du baptême lorsque la voix du Père -’’Tu es mon Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur’’ [Mt 3,17]- manifeste de façon sensible son élection et sa mission. C’est ’’conduit par l’Esprit’’ qu’il vit au désert le combat décisif et la suprême épreuve, avant de commencer cette mission [Mt 4,1]. C’est ’’avec la puissance de l’Esprit’’ [Lc 4, 14] qu’il revient en Galilée et inaugure à Nazareth sa prédication, s’appliquant à lui-même le passage d’Isaïe : ’’L’esprit du Seigneur est sur moi’’. ’’Aujourd’hui, proclame-t-il, cette Écriture est accomplie’’ [Lc 4, 18-21 ; Is 61,1]. Aux disciples qu’il est sur le point d’envoyer, il dit en soufflant sur eux : ’’Recevez l’Esprit Saint’’ [Jn 20,22] " (EN 75).
La mission évangélisatrice de l’Eglise : en union au Christ et sous l’action de l’Esprit-Saint
Ce même principe de l’union du Christ et de l’Esprit Saint s’étend sur le mystère de l’Église dans sa mission d’évangélisation. Chaque chrétien est appelé à s’unir au Christ et à expérimenter l’action de l’Esprit pour une évangélisation efficace. Le livre des Actes de Apôtres est abondamment cité pour nous faire découvrir la manière dont l’Esprit agit pour la croissance de l’Église : " En fait, ce n’est qu’après la venue du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, que les Apôtres partent vers tous les horizons du monde pour commencer la grande oeuvre d’évangélisation de l’Église, et Pierre explique l’événement comme la réalisation de la prophétie de Joël : ’’Je répandrai mon Esprit’’ [Ac 2,17]. Pierre est rempli de l’Esprit Saint pour parler au peuple de Jésus Fils de Dieu [Ac 4,8]. Paul, lui aussi, ’’est rempli de l’Esprit Saint’’ [Ac 9,17] avant de se livrer à son ministère apostolique, comme l’est Étienne lorsqu’il est choisi pour la diaconie et plus tard pour le témoignage du sang [Ac 6,5-10 ; 7,55]. L’Esprit qui fait parler Pierre, Paul ou les Douze, inspirant les paroles qu’ils doivent prononcer, tombe aussi ’’sur ceux qui écoutent la Parole’’ [Ac 10,44]. C’est grâce à l’appui du Saint-Esprit que l’Église s’accroît [Ac 9,31]. Il est l’âme de cette Église. C’est lui qui explique aux fidèles le sens profond de l’enseignement de Jésus et son mystère. Il est celui qui, aujourd’hui comme aux débuts de l’Église, agit en chaque évangélisateur qui se laisse posséder et conduire par lui, et met dans sa bouche les mots que seul il ne pourrait trouver, tout en prédisposant aussi l’âme de celui qui écoute pour le rendre ouvert et accueillant à la Bonne Nouvelle et au Règne annoncé " (EN 75).
Cette clé de lecture est déterminante pour la compréhension de toute l’exhortation apostolique. Le lecteur qui voudra lui-même aborder ce grand texte de Paul VI, ne pourra jamais la mettre de côté. Bien que le premier chapitre présente le Christ évangélisateur et que le dernier chapitre aborde la place de l’Esprit Saint dans le processus d’évangélisation, ces deux chapitres cernent et imprègnent tout le contenu des chapitres intermédiaires. La structure d’ensemble de Evangelii nuntiandi offre une vision intégrée du mystère chrétien, non seulement du point de vue doctrinal, mais aussi du point de vue méthodologique et pastoral. L’évangélisateur pourra retrouver son identité et évaluer son action missionnaire, en fonction de cette vision trinitaire où le Père envoie son Fils et l’Esprit Saint, pour le salut du monde et le développement de l’Église. Ainsi comprise, l’évangélisation consiste à faire croître, à déployer et à faire rayonner la grâce baptismale de la vie trinitaire.