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» Pourquoi le Seigneur des Anneaux est profondément catholique
AnalysesPourquoi le Seigneur des Anneaux est profondément catholiqueJRR Tolkien est un homme qui a marqué son temps. Mais on ignore souvent que la principale source d’inspiration qui lui a permit d’écrire la longue épopée du Seigneur des Anneaux, c’est précisément sa foi catholique. Tolkien était en effet un homme et un écrivain de conviction, qui allait à la messe tous les jours et avait une profonde dévotion envers la Vierge Marie. Tolkien, un catholique convaincu Né en 1892 en Afrique du sud, orphelin de père à six ans, le jeune John Ronald Reuel Tolkien est né dans une famille anglicane. Mais sa mère, Mabel, entre dans l’Eglise catholique avec ses deux fils deux ans après le décès de son époux. La famille de la jeune veuve réagit très durement, coupant toutes relations avec elle. Luttant contre la misère avec le soutien des Oratoriens de Birmingham (le jeune Ronald sera élève dans l’école fondée quelques décennies plus tôt par Newman), elle meurt quelques années plus tard. Tolkien a alors douze ans, et il demeurera convaincu toute sa vie que sa mère était morte en martyre de la foi catholique : « Elle s’est tuée au travail et à la peine pour nous assurer de garder la foi. » Son catholicisme fervent et sévère se nourrit de la vénération et de la fidélité envers cette mère, et de la conviction qui sous-tend son œuvre comme sa vie : les valeurs fondamentales valent la peine qu’on sacrifie son existence. Doué d’une intelligence et d’une imagination peu communes, l’adolescent réussit malgré sa pauvreté de brillantes études qui le conduisent à une chaire de professeur à Oxford, tout en créant dès son jeune âge des langages puis des mondes imaginaires. Ses deux passions sont le langage et les mythes, qui lui paraissent mieux exprimer la véritable nature de l’homme que la littérature moderne. En 1917, alors qu’il se remet dans un hôpital d’une blessure reçue dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, il décide de créer « une mythologie pour l’Angleterre », capable de rivaliser avec celles des pays nordiques qu’il admire, un ensemble de contes, de légendes, d’épopées, et même des langues, un calendrier... Il apporte aussitôt à ce projet qui semble puéril le sérieux qu’il a mis dans ses études et qu’il mettra dans son enseignement. Il travaillera à cette mythologie jusqu’à la fin de sa vie, mais sa motivation passera progressivement de motivations artistiques, littéraires et patriotiques à des buts de plus en plus ouvertement religieux. L’homme Tolkien est à la fois étonnement simple et complexe : un Anglais de la middle-class, britannique presque jusqu’à la caricature, ayant un tonneau de bière dans sa remise, aimant par-dessus tout les conversations dans un pub avec des amis au coin d’un feu de bois ou dans une chambre de son collège oxonien ; un philologue reconnu par ses pairs dans le monde entier et un auteur à succès acclamé par la jeunesse ; un homme économe devenu très riche à la fin de sa vie par le succès du Seigneur des Anneaux mais continuant à noter sur un petit carnet l’achat du moindre timbre-poste ; le mari patient d’une épouse difficile, le père d’un prêtre catholique et d’un défenseur de sa patrie dans la bataille d’Angleterre - également fier des deux ; et un homme pour qui son catholicisme était l’affaire la plus importante de sa vie, intransigeant et batailleur, apologiste de sa foi à une époque de tiédeur. Le conte, un instrument efficace pour former la culture Tolkien présente le conte comme « la fonction la plus élevée » de l’art, puisqu’il trouve sa source dans les deux pouvoirs majeurs donnés par Dieu à l’homme : celui de nommer et de qualifier les êtres et les choses, et celui de désirer ce qui est fondamental pour la nature humaine. Et comme Dieu a aussi donné à l’homme la liberté, celui-ci en exerçant ses pouvoirs est un véritable « sous-créateur » qui prolonge la création divine. Le conte consiste à exercer ce pouvoir dans le domaine le plus élevé qui soit, puisqu’il s’agit de la totalité du monde, et donne naissance à des « mondes secondaires ». Les idées exprimées ici par Tolkien l’ont été aussi par d’autres créateurs réfléchissant sur leur œuvre, surtout des poètes et des musiciens. Son originalité propre vient qu’il place le conte au dessus de toute autre forme de littérature en ce domaine de la « sous-création », parce que c’est selon lui la forme où le pouvoir donné par Dieu s’exprime le plus librement et donc reflète le plus l’activité libre du Créateur. Si le conte est le genre littéraire le plus élevé, c’est aussi celui qui porte le plus d’effets. On pourrait presque dire que le conte est le « creuset » dans lequel ont été moulées depuis toujours les cultures des peuples. Les jeunes hellénistes apprenaient par cœur les chants de l’Iliade et de l’Odyssée, les latins avaient aussi leur mythologie propre, les celtes, les normands, les germains aussi... Car le conte est un moyen littéraire extrêmement efficace pour transmettre les valeurs fondamentales aux jeunes générations (généralement en exaltant le courage des héros à la guerre, l’amour ardent pour la patrie, le respect aux morts et le culte dû aux dieux). Certes - note Tolkien - le conte est un récit fantastique, sortie de l’imagination, mais il est capable d’exprimer, mieux que tout autre genre littéraire, les vérités fondamentales sur l’être humain. En ce sens, le conte nous élève dans une autre réalité, un « monde secondaire », et l’histoire qui s’y déroule se présente à nous comme « vraie », c’est-à-dire cohérente avec la logique de cet univers. L’un des drames de notre époque, c’est précisément d’avoir perdu ces repères culturels forts qui, au temps de nos grands-parents, étaient encore très présents. Si aujourd’hui l’Evangile a tant de mal à fleurir sur les terres occidentales, c’est peut-être parce que le « terreau culturel » n’est plus bon : la multiplication des moyens de communications et surtout de l’audio-visuel a paradoxalement appauvri la culture. Quant aux grandes épopées fantastiques qui imprègnent subtilement la culture du cinéma, elles sont généralement truffées d’idées ésotériques qui ne favorisent pas l’éveil du sens religieux, mais enferment la pensée dans un univers clos, sans véritable ouverture à la transcendance (lire à ce sujet l’article du père Alfonso Aguilar : Qu’est-ce que le New-Age ?). Une œuvre de pré-évangélisation C’est ainsi que l’idée de former une grande mythologie au vingtième siècle s’est présentée petit à petit à Tolkien comme un moyen très puissant pour imprégner la culture de valeurs chrétiennes. En ce sens, on peut même dire que le Seigneur des Anneaux est une œuvre de « pré-évangélisation » : son contenu, ses valeurs, sont non seulement compatibles avec la foi, mais en constituent la toile de fond. Tolkien, dont la carrière littéraire avait commencé avec les histoires qu’il racontait à ses enfants avant de s’endormir, se rend compte du bien énorme que pourrait porter une grande épopée fantastique : Le conte dépasse en effet toutes les limites culturelles et religieuses et peut permettre à tous les hommes sans distinction de « savourer sans le savoir » les valeurs inhérentes à la foi chrétienne. Pour Tolkien, le Seigneur des Anneaux est « une œuvre fondamentalement religieuse et catholique ; elle l’était inconsciemment au début, mais consciemment dans sa révision », comme il l’écrit à l’un de ses correspondants. Il ne s’agit pas d’une transposition originale de l’Evangile ou d’une simple allégorie, mais d’une histoire propre qui reprend de nombreux éléments mythologiques en lui ajoutant une dimension transcendantale et humaine plus importante. Car le Seigneur des Anneaux traite des questions religieuses fondamentales de toute l’humanité : la Création, la Chute, la mort, l’éternité et le destin de l’homme. A la différence des autres grandes œuvres fantastiques de notre époque, le Seigneur des Anneaux ne met pas en scène des héros pleins de super-pouvoirs. Au contraire : le livre ne parle que de la faiblesse des hommes devant la tentation. Les véritables héros de l’histoire, ce sont en fait les plus petits, les hobbits, et particulièrement Frodon, seul capable de porter l’anneau jusqu’au Mont du Destin. Les hommes, quant à eux, appartiennent à une race faible, assoiffée de pouvoir et de domination. Le plus courageux d’entre eux, le roi Aragorn, puise sa force dans son refus net à s’approcher de l’anneau : il n’est qu’un homme et il reconnaît humblement sa propre faiblesse. Et cela, c’est une valeur très chrétienne : Jésus ne nous a-t-il pas enseigné que le meilleur moyen de ne pas succomber à la tentation, c’est de « couper court » avec tout ce qui conduit au péché ? La trame générale, sans aucune allégorie, reprend quelques éléments fondamentaux de la Passion. C’est bien le salut de la « Terre du Milieu » qui est en jeu. Les personnages essentiels, qui se lancent dans une aventure complètement disproportionnée à leurs capacités savent que leur chance de revenir chez eux est infime. (Mais c’est sans compter sans cette providence invisible, qu’on ne voit pas et dont on ne parle pas explicitement, mais qui est en fait omniprésente à chaque page de l’œuvre de Tolkien). Vont-ils devoir donner leur vie pour ceux qu’ils aiment ? C’est lorsqu’ils s’y décident qu’ils découvrent que c’est seulement par le sacrifice et même par la mort que ce qui est perdu sera retrouvé, - mais ils ne savent comment -, et le mal et la mort vaincus. Une attitude bien exprimée par un des héros du livre au moment de sa mort : « Nous partons dans la tristesse, mais non dans le désespoir. » Les personnages de Tolkien acceptent ce sacrifice dans une conscience très grande de la bonté fondamentale de ce qu’ils vont perdre, et on peut retrouver en celle-ci un écho de la parole des premiers martyrs, exaltant la beauté du monde face à leurs bourreaux mais lui préférant son Auteur. Le dénouement de l’histoire reprend, quant à lui, un élément présent dans la plupart des contes et aussi, bien qu’à un degré encore plus élevé, dans l’Evangile. Tout conte doit, d’après Tolkien, s’achever par une « eu-catastrophe » finale, c’est-à-dire un retournement de façon soudaine qui procure au lecteur de la joie. Cette idée est devenue une conviction le jour où, à la messe, Tolkien écouta le sermon dans lequel le prêtre reportait l’histoire de la guérison miraculeuse d’un enfant à Lourdes en 1927. Un petit garçon atteint d’une péritonite tuberculeuse et que l’on avait monté mourant dans le même wagon qu’une fillette qui, elle, avait été miraculeusement guérie, se leva alors soudain sur son séant (alors que le train passait à la hauteur de la Grotte) et dit « Je veux aller parler avec la petite fille », puis descendit de sa couche et partit jouer avec la petite fille, totalement guéri. Tolkien écrit qu’en écoutant ce récit, il a ressenti une profonde émotion et qu’il a compris tout à coup ce que c’était : « Cela même que j’avais essayé d’écrire et d’expliquer dans cet essai sur le conte... Pour cela j’ai créé le terme ‘eucatastrophe’, le soudain retournement heureux d’une histoire qui vous transperce d’une joie qui apporte des larmes (ce que je déclare être la fonction la plus haute que le conte doit produire). Et je fus conduit à cette idée qu’elle produit cet effet particulier parce que c’est un rayon soudain de la Vérité... » L’objectif de Tolkien est donc non seulement religieux mais missionnaire, il veut conduire son lecteur à ressentir cette joie particulière de l’ « eucatastrophe » dans sa fiction afin de l’aider à saisir la « grande Joie » de l’ « eucatastrophe » réelle, celle que rapportent les Evangiles, celle du Gloria des Anges et du matin de Pâques : « La naissance du Christ est l’eucatastrophe de l’histoire de l’homme... le Résurrection est l’eucatastrophe de l’histoire de l’Incarnation. » Tolkien fait en effet remarquer que l’Evangile commence et s’achève dans la joie. Il est, pour lui, la plus belle des histoires que nous désirons être vraies - et il est vrai. Dans une lettre, Tolkien n’hésite pas à écrire que « bien sûr, je ne veux pas dire que les Evangiles ne sont qu’un conte ; mais je tiens avec force qu’ils racontent un conte : le plus grand ». |