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 - 21 décembre 2024 - Saint Pierre Canisius
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Mission

Quelle assise théologique pour la Nouvelle Evangélisation ?

Le Père Mario Saint-Pierre de l’Institut Missionnaire de Toulon, Québécois, docteur en théologie de l’Université de Laval réfléchit à l’assise théologique de a Nouvelle Evangélisation. Il expose l’enjeux de cette problématique et la méthode qu’il a développée, dite de « l’intégration ».

Pourquoi parler d’une « théologie de la nouvelle évangélisation » ?

Depuis le tout début de son pontificat, Jean-Paul II utilise l’expression « nouvelle évangélisation ». D’une manière prophétique, il invite tous les baptisés et pasteurs à entrer dans cette mission essentielle, fondamentale, prioritaire et urgente pour toute l’Église. Nous connaissons bien la formule utilisée à Haïti en 1983 pour caractériser cette « nouvelle évangélisation quant à sa ferveur, ses méthodes et son expression ». Mais peu savent que le contenu théologique de cette expression se trouve dans l’exhortation apostolique post-synodale de 1975 : « Evangelii nuntiandi ». En effet, dans « Tertio Millenio Adveniente », Jean-Paul II affirme au numéro 21 : « Le thème fondamental est celui de l’évangélisation, et même de la nouvelle évangélisation, dont les bases ont été posées par l’exhortation apostolique Evangelii nuntiandi de Paul VI, publiée en 1975 après la troisième Assemblée générale du Synode des Évêques. » J’aime beaucoup citer ce texte.

Beaucoup me demandent : « Le concept de « nouvelle évangélisation » n’est-il qu’une expression à la mode ? Peut-on accorder une certaine importance théologique à cette formule ? » Comme vous le constatez, la citation de Jean-Paul II nous offre deux réponses intéressantes. Elle nous indique d’une part que le « thème fondamental » des Synodes qui se situent et s’inscrivent dans la perspective du Concile Vatican II est celui de la « nouvelle évangélisation ». D’autre part, il affirme que « les bases ont été posées par [...] Evangelii nuntiandi ». Cela est lourd de sens : l’expression a réellement et profondément un contenu théologique explicité dans « Evangelii nuntiandi ». Ce texte n’a rien perdu de sa fraîcheur et de son actualité.

À nouveau monde, nouvelle évangélisation, nouvelle théologie ?

Nous pouvons parler d’une nouvelle évangélisation dans un nouveau monde. Cela nous semble évident puisque l’Église du troisième millénaire est particulièrement appelée à se concentrer sur sa mission essentielle et fondamentale dans un contexte nouveau et inédit. Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet.

Il n’est en revanche pas juste de parler d’une « nouvelle théologie ». Nous n’avons pas à créer une nouvelle théologie de l’évangélisation. Le contenu de l’Évangile est toujours le même et la nouvelle évangélisation doit trouver son chemin de réflexion non pas en elle-même, mais au cœur de l’Écriture et de la Tradition. Le Concile Vatican II s’inscrit dans cette mouvance de l’Esprit Saint qui nous invite à creuser les richesses inépuisables de la l’Écriture au cœur de cette Tradition ecclésiale qui éclaire notre marche sur ce chemin nouveau. Vatican II nous ouvre des pistes insoupçonnées de réflexion sur la théologie de la nouvelle évangélisation. Nous avons lu les grands textes conciliaires. Nous avons constaté leur profondeur et leur richesse. Ils continuent à nous inspirer. Mais qui a lu les textes du Concile à la lumière de ce qui me semble être le concept clé, le fil conducteur théologique, pastoral et spirituel du Concile, à la lumière de la « nouvelle évangélisation » ?

Mais puisqu’il s’agit d’une théologie de la nouvelle évangélisation, peut-on penser que la théologie puisse en quelque sorte bénéficier d’un certain renouveau ?

Je l’ai bien indiqué. Il ne s’agit pas d’inventer un nouveau contenu, d’adapter un nouvel Évangile, de créer une théologie originale pour le simple plaisir de la nouveauté. La nouvelle évangélisation s’enracine dans les profondeurs de l’Écriture et de la Tradition de l’Église. Si nous parlons d’une théologie de la nouvelle évangélisation, le caractère nouveau de cette théologie se trouverait plus particulièrement dans sa méthodologie, dans sa manière de voir et de contempler le mystère chrétien pour que l’Église puisse accomplir sa mission dans le monde d’aujourd’hui avec fécondité et efficacité. « À vin nouveau, outres neuves ». Il ne s’agit pas d’inventer une nouvelle sorte de vin, mais de permettre au vin de mûrir et d’atteindre sa qualité optimale. Le vin nouveau doit être versé dans des outres neuves pour qu’il puisse vieillir dans la durée et au terme de sa maturation être apprécié par les fins goûteurs. Il ne s’agit pas d’opposer vin nouveau et vieux vin puisque Jésus nous demande de faire en sorte que le vin nouveau vieillisse ! Par contre, il nous invite après avoir considéré l’objectif principal et essentiel à utiliser les moyens adaptés pour accomplir cette mission.
La théologie doit en quelque sorte jouer ce rôle d’outres neuves. Elle doit permettre au contenu inchangé de l’Évangile d’être apprécié et goûté dans la joie et la ferveur de sa force renouvelante pour le monde d’aujourd’hui. Du point de vue du contenu, elle vise une réflexion de qualité, profonde et sérieuse pour exercer un discernement dans la vie ecclésiale, spirituelle et pastorale. Du point de vue de sa méthode, elle doit chercher des adaptations nouvelles pour rendre plus accessible le message chrétien, plus efficace le témoignage, plus vitalisante la vie ecclésiale. Bien sûr, il ne faut pas mettre de côté les méthodes qui ont déjà fait leur preuve dans l’histoire de la théologie chrétienne. Nous avons beaucoup à apprendre de ces méthodes. Mais n’y aurait-il pas d’autres méthodes théologiques plus adaptées pour rendre fécond ce ministère essentiel et fondamental de l’Évangélisation ?

Vous parlez de méthodes nouvelles pour la théologie de la nouvelle évangélisation. À quoi pensez-vous ?

En fait, je n’ai rien inventé. Je n’ai fait que découvrir ce qui est déjà présent dans la réflexion conciliaire et post-conciliaire et dans le contexte de la vie ecclésiale depuis quelques décennies. J’identifie cette méthodologie par l’expression « intégration ». Ce terme m’apparaît très important et situe bien l’enjeu de la nouvelle évangélisation. J’ai eu d’ailleurs la joie de découvrir que le cardinal de Cracovie, celui qui est devenu Pape, a abondamment utilisé cette méthode dans ses écrits philosophiques et théologiques.

Cette approche méthodologique de l’intégration est au cœur de son anthropologie théologique et de son enseignement moral. Dans « Personne et acte », l’être de la personne humaine se révèle et s’accomplit dans l’acte. Il utilise le concept de participation et la réalité de l’intégration pour unifier l’être et l’acte de la personne. Il reprendra sensiblement le même schéma pour développer son ecclésiologie. Dans « Aux sources du renouveau », l’être et la conscience de la Personne-Église - ‘‘Église, que dis-tu de toi-même ?’’ - se révèlent et s’accomplissent dans son agir, son acte de foi qui est partagé comme témoignage.
Ainsi, nous comprenons que pour Karol Wojtyla la clé d’interprétation fondamentale du Concile Vatican II est la réalité théologique et pastorale du ‘‘témoignage’’. Dans « Aux sources du renouveau », le chapitre sur le témoignage est l’axe central qui permet d’unifier dogme et pastorale et ainsi de comprendre le cœur de l’ecclésiologie de Vatican II.

Jean-Paul II est l’exemple type de celui qui, formé à l’école thomiste et à la spiritualité carmélitaine, a su entrer en dialogue avec les écoles philosophiques plus contemporaines. Comment comprenez-vous sa mission et son ministère ?

Personnellement, je pense que si Jean-Paul II a un ministère pastoral et magistériel si puissant et fécond c’est en partie grâce à cette méthode d’intégration. Je dis bien en partie puisqu’il ne s’agit pas de faire de l’intégration une panacée ou une méthode démagogique. Il est intéressant de constater que non seulement Jean-Paul II l’a utilisée dans ses écrits philosophiques et théologiques que je viens de citer, mais aussi dans sa mission ecclésiale comme telle.

Ce qui me frappe particulièrement c’est sa participation au Synode sur l’évangélisation en 1974. N’oublions pas que ce synode s’enlisait dans de multiples idéologies et tensions théologiques et pastorales. Ce synode a eu lieu dix ans après la fermeture du Concile. À cette époque, toutes les tensions ont éclaté avec force. Au beau milieu de ce synode, le cardinal de Cracovie intervient et présente le fameux « Document bleu » où il affirme dans son introduction : « En écoutant ou en lisant vos interventions, j’ai été sensible à la crainte de négliger l’un ou l’autre des thèmes de cette donnée complexe que nous désignons sous le nom d’« évangélisation » : il est très important de rassembler tous les traits que vous avez notés. Et il ne suffit pas de les aligner, car ils se complètent mutuellement, en sorte qu’il faut les réunir pour obtenir un concept intégral d’évangélisation » (« L’Église des cinq continents », 148). Dans ce discours si important et malheureusement si peu connu, Karol Wojtyla met en place cette méthode de l’intégration pour réconcilier toutes les tensions qui se sont exprimées dans ce synode. Ce document est très important puisqu’il a servi à la rédaction d’ »Evangelii nuntiandi ». D’ailleurs, celui qui lit « Evangelii nuntiandi » avec attention, y retrouvera les traces évidentes de cette méthode théologique de l’intégration.

Pouvez-vous nous expliquer comment votre parcours vous a rendu si sensible à cette approche de l’intégration pour la nouvelle évangélisation ?

Tout cela n’est pas le fruit du hasard. L’Esprit Saint nous guide en ce chemin nouveau de réflexion sur l’évangélisation. Le chantier théologique sur la nouvelle évangélisation est vaste et immense. Mon parcours théologique et pastoral m’a permis de faire des découvertes intéressantes. Tout au long de ma recherche doctorale sur la pensée du père Hans Urs von Balthasar, je découvrais jusqu’à quel point la puissance et la profondeur de sa pensée philosophique et théologique étaient articulées elles aussi au cœur de cette méthode de l’intégration. Après avoir accompli cette recherche, j’ai été plongé dans le ministère paroissial. Au même moment, je découvrais de nouvelles méthodes d’évangélisation que j’ai d’ailleurs eu la joie d’implanter au Québec. Mais mon réflexe et ma formation théologiques me poussaient constamment à réfléchir théologiquement sur les fondements bibliques, dogmatiques, spirituels et pastoraux de l’évangélisation. Plus j’avançais, plus je m’émerveillais de la profondeur et de la fécondité réelle de cette vision méthodologique de l’intégration. Elle est un outil très approprié et adapté pour l’évaluation des méthodes d’évangélisation.

Vous avez étudié la théologie proposée par Hans Urs von Balthasar et publié l’ouvrage « Beauté, bonté, vérité chez Hans Urs von Balthasar » paru en 1998 aux Editions du Cerf. Qu’est-ce qui vous a séduit dans la pensée de ce théologien ?

Ce n’est pas au début que j’ai découvert la place importante de la méthode d’intégration chez Balthasar. Dans mon ouvrage, j’ai surtout étudié, comme le titre l’indique, les transcendantaux, c’est-à-dire les qualités de l’être (beau, bien, vrai) qui ont servi à structurer l’ensemble de son œuvre, de sa grande Trilogie : « La gloire et la croix » sur le beau ; « La Dramatique divine » sur le bien ; « La Théo-logique » sur le vrai. Plus j’avançais dans mon travail, plus je découvrais chez Balthasar la puissance de cette méthode d’intégration. J’en parle un peu dans mon ouvrage, mais en fait il faudrait écrire une thèse uniquement sur ce thème si important.

Permettez-moi de vous présenter brièvement cette méthode puisque de nombreuses personnes me posent souvent la question : « Vous parlez d’intégration, mais de quoi s’agit-il ? Comment comprendre cette méthode ? » Je réponds à la question de manière schématique et peut-être trop brève en indiquant les quatre caractéristiques selon le point de vue du père Balthasar :

- 1- le rapport tout/parties à travers deux axiomes complémentaires :
a) le tout est plus que la somme des parties
b) le tout dans le fragment (« Das Ganze im Fragment » publié en français sous le titre « De l’intégration »

- 2- plus un être est évolué, plus il peut intégrer des éléments en apparence opposés (La vérité est symphonique)

- 3- plus est fort l’acte intérieur d’un être par lequel il se connaît, plus son rayonnement extérieur est grand (la prière contemplative)

- 4- le mystère de l’être est inépuisable et se situe dans la logique du ‘‘toujours-plus’’ de l’amour (l’amour seul est digne de foi) : plus un être se donne, plus il s’enrichit et s’épanouit.

Ces 4 caractéristiques sont profondément reliées entre elles. Il serait intéressant de lire « Evangelii nuntiandi » à la lumière de ces caractéristiques de l’intégration et de comprendre la pertinence de cette méthode pour l’approfondissement de la théologie de la nouvelle évangélisation.



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