Après la catastrophe, les islamistes occupent le terrain à Aceh

Dévastée par le raz de marée du 26 décembre, transformée en une gigantesque morgue à ciel ouvert, la province d’Aceh, au nord de l’île indonésienne de Sumatra, draine aujourd’hui compassion, aide internationale mais aussi tout ce que le pays compte de milices et extrémistes musulmans venus « éradiquer le mal et la décadence ».

Des centaines de militants islamistes

Des centaines de militants islamistes ont été les premiers à prêter main-forte. A Banda Aceh, la capitale provinciale, on les voit extraire les cadavres des décombres, distribuer de la nourriture, évacuer les réfugiés et mettre en place des postes d’urgence. Mais avant tout, explique Salman al-Farisi, à la tête des 200 hommes du Laskar Mujahidin sur place, « il est crucial que les survivants comprennent que la calamité est un avertissement d’Allah ».

Le Coran dans une main, le poignard dans l’autre, les miliciens du Laskar Mujahidin se sont spécialisés dans l’attaque des églises et le massacre des chrétiens des Moluques à l’est de Java. A Aceh, peuplé de pieux musulmans, ils se rendent indispensables et répandent la bonne parole. « Les Acehnais ont trahi Allah. Ils se sont égarés des recommandations du Coran », explique l’imam Salman al-Farisi. Dans le cadre d’une autonomie spéciale accordée en 2002, la charia a été promulguée dans la province, contrairement au reste de l’Indonésie. « Seuls les bons musulmans ont survécu. » A l’entrée de son camp près de l’aéroport militaire, il a planté une pancarte : « Application de la loi islamique. »

Nous avons démarré la formation des nouveaux défenseurs de l’islam.

En ville, le Front des défenseurs de l’islam (FPI), une police religieuse qui organise à Java des opérations commando contre les boîtes de nuit et ratisse les grands hôtels à la recherche de touristes américains, déblaie sans relâche. Hilmy Bakar Almascaty, chef du contingent, ne fait pas mystère qu’il est là pour grossir les rangs de son organisation. Recruteur hors pair, il est certain d’entraîner les jeunes dans ses bagages. « Nous avons démarré la formation des nouveaux défenseurs de l’islam. Aceh est l’endroit idéal », confie l’auteur du manuel du djihad.

Arrivés dans des avions militaires indonésiens ou par le vol commercial organisé par Yusuf Kalla, le vice-président indonésien, le Front des défenseurs de l’islam, le Majlis Mujahidin Indonesia, une organisation créée à la fin des années 1990 par Abu Bakar Bachir, chef spirituel de la Jemaah islamiyah, relais asiatique d’al-Qaida, actuellement en procès pour terrorisme à Jakarta, son bras armé, le Laskar Mujahidin ainsi que le Laskar Merah Putih, milice islamiste et patriotique font la tournée des mosquées. Un millier de membres du Parti de la justice, un petit parti islamiste qui fait campagne pour l’application de la loi islamique en Indonésie, ont également fait le voyage.

le tsunami : « une manifestation de la colère d’Allah ».

Et partout on entend que le tsunami est « une manifestation de la colère d’Allah ». La présence de ces radicaux a poussé la communauté catholique à fuir. Selon Ferdinando Severi, missionnaire italien, curé de la paroisse du Sacré-Coeur-de-Jésus à Banda Aceh, seuls 15 de ses 400 paroissiens - des commerçants chinois - sont restés, les autres sont partis à Medan, la grosse ville de Sumatra, où ils se sentent plus en sécurité.

Des observateurs craignent que les miliciens n’instillent un sentiment anti-occidental. Pour Sidney Jones, directrice du centre de recherches International Crisis Group pour l’Indonésie, les islamistes s’inquiètent que « l’action humanitaire des Américains et des Australiens ne soit qu’une couverture dissimulant des tentatives de convertir les musulmans à la chrétienté. Ils se sentent investis de la mission de préserver Aceh contre toute influence kafir (infidèle) ». « Nous tolérerons les Occidentaux tant qu’ils s’en tiendront à l’humanitaire. Sinon nous passerons à l’action », menace l’imam du Laskar Mujahidin. « Nous supervisons en permanence ces étrangers. Nous avons nos fiches. »

Source : Le Figaro